Set Design du film La Dernière Reine : Interview avec la directrice artistique de décors Feriel Gasmi Issiakhem
Feriel Gasmi Issiakhem est une Architecte d'intérieur et Global Designer Algérienne, elle a été la directrice artistique décor du film La Dernière Reine, sorti en 2022 et co-realisé par Adila Bendimerad et Damien Ounouri. Lors de cette interview, on lui a posé quelques questions sur l’envers du décor, comment la décor de ce film a été pensé et créé en collaboration avec Damien Ounouri, entre les recherches historiographiques, la palette de couleurs choisie, la partie nourriture, les pièces décoratives et tissu. Avec cette interview on a cherché à mettre en avant le travail colossal qu’elle et son équipe ont fourni, et à mettre de la lumière d’un aspect du septième art souvent peu considéré dans le cinéma Algérien, à savoir le set design.
C'est la première fois que vous exercez votre métier d'architecte d’interieur et designer dans le septième art, et première fois que vous incarnez ce rôle de set designer/directrice artistique de décor pour un film. Si vous deviez décrire cette version de votre métier en quelques étapes, de comment crée-t-on un set design pour film que diriez-vous ?
Dans la direction artistique des décors c’est très visuel ou chaque détail et sous détail compte, c’est pour cela que la période de préparation est cruciale et qui a duré plus de deux années de recherches historiographiques (architectures, végétation, matières, vaisselle, arts et coutumes sociologiques d’époque). Nous nous adaptons également au département costumes (jean marc mireté) pour plus de cohérence. Puis vient la longue période de la matérialisation des décors, une étape très matérielle : construction de décors et d’accessoires, de couture, de teintures … dans le département décors, il Ya plusieurs corps de métiers qui interviennent pour obtenir le fini souhaité de telle ou telle pièce, parfois nous incorporons même des artistes en dehors des ateliers de la production. Et lorsque nous pensons que tout est prêt, il y a souvent d’autres interventions pendant la période de tournage comme pour ce film ou nous avions des ateliers de construction que nous emportions avec nous sur les lieux de tournage
Ayant peu de ressources visuelles/illustrations que des thèses de doctorat lors de la recherche pour le film de la dernière reine qui prend place en 1915. Sur quoi vous vous êtes basé pour choisir les tissus, les tapis, les lits, tables, chaises et autres pièces décoratives ?
il a fallu pour les décors au moins 02 ans de recherches d’archives écrites et illustrées pour être au plus près et au plus juste de cette époque.
La période du 16e siècle en effet est très peu documentée mais avec les références données lors de nos diverses lectures , nous avons dû avec les réalisateurs croiser toutes nos références pour finalement aller piocher au fur et à mesure sur l’ensemble des directions mentionnées ici ou la . Ce qui nous a emmené a allé plus loin qu’Alger qui était une ville très cosmopolite à ce moment grâce aux échanges commerciaux avec les villes méditerranéennes (Gènes, Istanbul, Anatolie, Andalousie) et les courses en mer. De ces recherches il en est ressorti un panel très important et riche en ce qui concerne les palettes de couleurs, les représentations graphiques (murs, mobilier, textiles) .la constante était de s’ancrer dans des univers visuels berbères et a ce moment , nous savions qu’un tissage berbère issu d’une tribu de Miliana pouvait être posé dans une architecture romano byzantine ou zianide avec des broderies andalouses ! C’était cela qui était important de concilier car ce sont des marqueurs tangibles de l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui.
Avez-vous eu une carte blanche de choisir des pièces qui n'appartenaient pas nécessairement à cette époque d’Alger ?
Dans ce contexte precis , la carte blanche est à utiliser avec précaution ! personnellement ma carte blanche résidait à une restitution méticuleuse de cette époque algéroise charnière . mais on peut citer le grand tableau arrière plan de la scène du henné réalisé avec brio par l’artiste Fella Tamzali qui a travers sa lecture du scenario nous a réalisé cette superbe œuvre inspiré du rêve de Zaphira .ou bien le lit d’inspiration berbére anthique car il possedait les signes des 3 religions monothéistes de cette epoque largement usité sur les premiers coffres retrouvés au 16e siecle . de 2,50 mx2,50 m de Zaphira
Y a -til des œuvres d'art/peintures d'Alger d'antan auxquelles vous vous êtes référés ou auxquelles vous avez fait un clin d’œil ? Une scène me vient à l'esprit à ce propos, celle du henné de Zaphira.
Non nous avions tout fait pour ne pas tomber dans ce panneau. Mais bizarrement il Ya plusieurs scènes dans l’imaginaire du public qui ont fait référence à des peintures orientalistes. Avec du recul nous pensons que c’est le résultat évident des superpositions des étoffes, mosaïques des lieux , broderies , cuivres qui ont mené inexorablement à ces clin d’œil . ensuit il est difficile d’en échapper lorsque en amont on a déjà tout préparé et qu’au montage des décors nous retrouvons avec ce résultat qui finalement nous a fait comprendre que nous avions tellement fait dans le détail de chaque composante que lorsqu’ils sont assemblés nous obtenions a chaque fois des sortes de tableaux vivants.
Avez-vous fait tout artisanalement avec votre équipe où il y a eu possibilité d'emprunter/recopier quelques pièces de musées ? Pouvez-vous nous citer quelques-unes ?
Il ya eu beaucoup de travail de construction dans les ateliers de la production avec une équipe déco formidable : menuiserie, sculpture, teinturerie, ferronnerie … ou chacun maitrisait son domaine, nous avons du bien évidement reproduire au plus près des pièces répertoriées de musées (dagues , armures , epées, ) . et bien évidement comme nous tournions dans des décors naturels exceptionnels, il a fallu louer et emprunter de vrais pièces. Nous voulions surtout éviter que ce qui était dans les premiers plans soit fake , du bois d’ebene , des velours brodés en fils d’or, des dagues ciselées, des marquetteries qui etaient de veritables pieces maitresses .
Pour la palette de couleur du film, on a vu du rouge, beige, vert, bleu (si je ne me trompe pas), comment avez vu opté pour ce choix de couleurs ? Et comment vous avez coordonné ça avec le responsable de lumières/light design et costume designer ?
A ce niveau, l’évidence de la palette est issue de la logique des teintes naturelles usitées à l’epoque (bleu de méthylène, fleurs d’ibiscus, safran..) . chaque décors masculin ou feminin avait sa palette grandement tributaire dès la collection des costumes qui devaient s’y mouvoir. ainsi chez le roi Salim Toumi , il y avait des tonalités assez froides et très austères et rigoureuses , en revanche chez Zaphira , elles étaient plus chatoyantes , plus fougueuses et pour Arroudj , elles etaient tantot strictes et tantôt explosives : ces tonalités traduisaient également le caractère de chaque personnage . Mais la constante dans chaque décors était ce vert algérois !
Si vous deviez décrire psychologiquement la palette de couleur utilisée pour la chambre de Zaphira, quels mots utiliseriez-vous?
La chambre de Zaphira implantée dans un bien culturel protégé, la mosquée du Mechouar , avait une hauteur sous plafond de plus de 6 mètres avec une architecture très austère , toute en pierre et donc aux tonalités beiges et blanches , nous avions du beaucoup travaillé sur cet espace afin de ne pas ôter le caractère presque « à la romaine » du lieu en ajoutant au fur et à mesure des couches de couleurs pour « réveiller » l’ensemble sans être dans l’excès . il ya du vert , du bordeau , du blanc dans les grandes masses de couleurs ( tentures , voilages ) , référence à l’Algérie puis viennent tous les accessoires colorés soit par leurs motifs sculptures ou végétaux . j’utiliserai le mot : « caractère »
Pour la nourriture/gâteaux, comment avez-vous fait pour les recettes ? Comment sait-on que c'est telle ou telle recette qu'on utilisait à l'époque Ou vous avez pris de la liberté ?
Au 16e siecle pour la partie aliments, condiments ou épices il a fallu aussi faire des recherches et nous savions que sur la base d’un patrimoine culinaire berbère avec des influences andalouses , tout ce qui est réalisé a base de pates et certains légumes était une constante . nous avons tenté d’etre au plus près d’une certaine logique pour cette époque en prenant en considération les influences des différentes communautés qui se côtoyaient , c’est-à-dire la population autochtone ,berbére , arabe et judéo-chrétienne . le mode de cuisson possible a ce moment-là était soit à l’eau ( vapeur et bouillie) ou au grill ( mechoui pour les viandes) . une nourriture sobre en fait sans artifices sauf pour les sucreries beacoup plus raffinées ( pates de fruits , gâteux au miel , véritable glace parsemées de grains grenades)
Alger en 1516, c'est un concentré de plusieurs influences, passages d'occupations et tribus, comment avez vous reconstitué le côté traditionnel et coutumes de cette époque?
Nous avons ancré le tout sur un socle commun qui est la berbérité des tribus, leurs attachements à leurs coutumes mais en même temps nous savions que ce fut une période très faste en influences issues des courses en mer et des echanges commerciaux avec d’autres contrées de la méditerranées. il est dit que les algerois les plus aisés de cette epoque etaient très raffinés dans le choix des étoffes, des objets t autres et qu’ils suivaient a peu prés comme aujourd’hui la mode du moment. nous retrouvons ainsi le travail des artisans du 16e siecle et l’exemple le plus éloquent a été le palais de Zaphira ( chambre et patio) ou nous avions superposé des éléments berbères ( lit , coffres, poteries, tapis , tissages) avec d’autres d’influence andalouses ( broderies , cuivres , chadeliers , tentures murales ..)
Poster Design et rédaction : Yamina Hamidi.